Les sciences cognitives renouvellent profondément notre compréhension des processus mentaux ; l’ordinateur modifie profondément nos rapports à la connaissance et à la société. Quelles peuvent être les répercussions de ces bouleversements? Quels changements cela suppose-t-il d’introduire à l’école et hors de l’école ?
La réflexion en cours sur l’évolution nécessaire des systèmes d’éducation doit bénéficier des avancées scientifiques récentes sur le processus pédagogique (tant du côté de l’apprenant que de l’enseignant). De la qualité des interactions entre la recherche et la pratique dépend pour une part l’avenir de l’éducation, et notamment la place des nouvelles technologies dans l’enseignement à l’école et hors de l’école.
Chaque fois qu’il s’agit de concevoir un outil d’apprentissage, d’évaluer un processus de prise de décision, d’améliorer une conduite, le problème se pose de connecter questions (comment faire pour que l’outil, le processus, la conduite aient telle ou telle caractéristique ?) et réponses (ils doivent être conçus de telle ou telle manière) et de les exprimer en termes de design. Un pont existe entre les deux pôles, représenté par la connaissance des fonctions cognitives.
Compas s’inscrit dans un champ de recherche émergent au niveau international, comme en atteste la création de sociétés savantes telles que l’International Brain, Mind & Education Society, ainsi que l’intérêt que lui portent agences gouvernementales et internationales, fondations privées, ONG…
Si Compas se base sur les sciences cognitives, il n’y voit pas la source unique de compréhension. La plus grande importance est apportée aux synergies avec des spécialistes d’autres champs, tels que la philosophie politique et la philosophie de l’éducation, les sciences sociales, les sciences de l’éducation, la biologie théorique, et avec des professionnels de l’éducation, de la culture, des jeux vidéo, de l’architecture, du design et des arts.
Question 1 : L’éducation se pratique depuis des millénaires, avec des résultats variables mais souvent excellents. Pourquoi aurait-on besoin des sciences cognitives aujourd’hui ?
Chacun – et c’est heureux – a sa petite idée sur l’éducation, comme on en a sur les accidents de la route, sur la baisse de la natalité ou sur la politique. Mais ces idées sont généralement peu robustes, souvent contradictoires, et vulnérables à la confrontation. Pour les dépasser, nous devons nous mettre à l’école des sciences et nous soumettre à la discipline de l’expérience. Compas veut mettre à l’honneur une réflexion pédagogique fondée sur l’évidence factuelle : sur les faits, et non sur les croyances. Nous n’oublions pas que les faits ne sont jamais bruts, qu’ils sont « imprégnés de théorie » ; mais cela ne doit pas nous empêcher de rechercher, comme le faisait déjà Piaget par exemple, les caractéristiques générales des processus impliqués. Compas veut ainsi promouvoir dans l’éducation une politique appuyée sur des preuves.
S’agissant d’éducation, les preuves en question (qui ne sont jamais davantage que des indices qui doivent être interprétés) sont de deux ordres :
- les preuves basées sur les résultats, mesurés au cours d’une phase déterminée d’instruction ;
- les preuves basées sur les mécanismes, c’est-à-dire les facteurs cognitifs.
Question 2. De manière plus précise, en quoi les sciences cognitives sont-elles pertinentes pour l’éducation ?
Toute réflexion sur la pédagogie repose plus ou moins explicitement sur une théorie de la nature humaine, en premier lieu sur une certaine conception du fonctionnement de l’esprit. Les sciences de l’éducation se sont toujours officiellement appuyées sur la psychologie scientifique : c’est pourquoi elles sont nécessairement concernées par l’émergence des sciences cognitives, dont l’ordre du jour inclut et étend celui de la psychologie.
Les sciences cognitives sont l’ensemble des disciplines qui contribuent à la compréhension conjointe des phénomènes mentaux, de l’activité cérébrale et du comportement ; et qui vont de la philosophie aux neurosciences, en passant par la psychologie, la linguistique, l’anthropologie, l’intelligence artificielle et les sciences du design ; elles mobilisent aussi les mathématiques, la physique, la biologie évolutive, les sciences sociales.
On croit trop souvent que les sciences cognitives se limitent soit à l’étude du cerveau, en particulier des localisations et des pathologies, soit à l’intelligence artificielle et au développement de logiciels d’aide à la décision, à l’apprentissage, etc. Compas souhaite contribuer à dissiper ce malentendu, en présentant de manière précise comment dès aujourd’hui les sciences cognitives modifient notre compréhension des processus cognitifs mis en jeu dans l’apprentissage dans ses différentes modalités.
Question 3. Que sont les « learning sciences » ? Quel rapport ont-elles avec les sciences cognitives ?
Les sciences cognitives sont partie prenante dans la nouvelle fédération qui émerge depuis une dizaine d’années sous le nom de learning sciences (ou parfois mind, brain and education). Les deux groupes ne se confondent pourtant pas. Les sciences cognitives ne s’intéressent pas seulement à l’apprentissage, et, du moins jusqu’à tout récemment, pas directement à l’éducation : elles s’occupent aussi d’une quantité de phénomènes qui ne concernent pas particuilèrement l’éducation (même si beaucoup d’entre eux y jouent un rôle). Inversement les learning sciences mobilisent, à côté des sciences cognitives, (1) les sciences de l’éducation, qui ont leurs propres ressources et traditions, (2) les pratiques éducatives, depuis le « terrain » de l’école et des dispositifs d’éducation formelle et informelle hors école, jusqu’aux entreprises produisant les outils pédagogiques et aux instances où s’élabore la politique éducative à différentes échelles. C’est dans ce cadre que doivent être menées les « recherches translationnelles » qui permettent de passer des résultats obtenus dans les instituts de recherche à la classe et aux autres lieux de l’éducation, et inversement d’orienter les recherches vers les problèmes de terrain correctement identifiés et prioritisés.
Question 4. Quel est le rapport entre sciences cognitives et technologies numériques ?
Les technologies numériques (technologies de l’information et de la communication, ou TIC) créent, captent, traitent, stockent, transfèrent, disséminent de l’information, au sens le plus général du terme. Elles se prêtent donc naturellement à appuyer, prolonger, faciliter, développer les processus éducatifs. C’est pourquoi elles suscitent depuis leur naissance des tentatives pour les appliquer à l’éducation : ce sont ces tentatives que l’on regroupe sous le sigle « TICE » [technologies de l’information et de la communication pour l’éducation, en anglais ICT4E, Information and communication technologies for education]
Or les TIC et les sciences cognitives puisent aux mêmes sources, sont nées au même moment et pour les mêmes raisons. En ce sens, les sciences cognitives fournissent les bases théoriques des TICE. Elles permettent d’ajuster de la manière la plus précise les instruments numériques aux processus mentaux qui les utilisent, de mieux comprendre dans quelles conditions ils constituent une aide véritable et de quelle manière on pourrait les concevoir et les utiliser en sorte qu’ils soient plus utiles. C’est ainsi que Compas participe à un projet ambitieux d’apprentissage des capacités fondamentales par un outil numérique destiné à des enfants en situation de scolarisation absente ou très faible. Compas développe une réflexion plus générale sur l’emploi des TICE dans différents contextes.